Le grand amour de la petite enfance.
Le regard de la psychanalyse corporelle.

Le tout-petit enfant a déjà vécu sa première séparation en quittant le ventre de sa mère. Ce choc originel a laissé en lui la trace d’un immense vide. Tous ses repères intégrés pendant la gestation sont bouleversés… et pourtant il se jette tout entier dans la vie.
Dans la petite enfance, il va devoir apprendre à vivre « dehors », avec une mamanqu’il sent, voit, touche… mais avec qui il ne peut plus fusionner. Son corps doit s’adapter à un monde tout neuf : l’air remplace le liquide amniotique, la gravité le tire vers le bas, les sensations affluent. Ses sens s’ouvrent, il explore et va chercher à l’extérieur ce qui lui était auparavant apporté physiologiquement.
Le bébé, ce géant d’amour, ressent encore le monde intérieur des adultes autour de lui, comme s’il captait leur météo émotionnelle. Il n’a pas de morale, pas encore. Il est fait pour aimer, il a faim d’amour. il aime tout de cette maman « qui donne la vie » et tout ce qui est bon pour elle, est bon pour lui. Il va aimer maman de tout son être et il va à la rencontre du monde à travers celui de maman, il se construit à travers elle. Être en lien avec sa maman est sa raison de vivre. L’amour imparfait de maman, même ténu, froid, dur, injuste, lui suffit, car sans son amour… il se fane.
Tout devient opportunité de lien : un regard, un geste, un soin. Le bébé donne de l’amour, sans réserve. Il devient expert du corps de maman dont il capte tout. Et s’il sent un manque, il en donne encore plus. Il est là pour aimer.
« En psychanalyse corporelle, j’ai revécu un instant de ma petite enfance dans une simple toilette quotidienne. J’ai pu vivre à quel point ce bébé était sensuel et profondément aimant. Comme cet amour était simple et pur pour ma maman, mais je la sentais tellement épuisée et triste. J’aurais voulu l’emmener dans cette tendresse. » (Témoignage C.B.)

Mais vient un jour où, malgré tous ses efforts, l’enfant se cogne à la limite de l’amour possible de sa maman. Il sent qu’elle pourrait aimer plus… mais ne le fait pas. Alors il pousse ses stratégies à l’extrême pour la mobiliser, mais les résistances humaines de maman sont plus fortes et il va le payer cher car il la pousse dans ses retranchements.
« Juste au moment où elle est en train de me langer, je fais pipi et cela coule sur mon ventre… c’est chaud et doux ! Je sens bien que ma maman est furieuse. Elle va devoir rajouter encore une lessive à son épuisement. Je sens aussi tout le refus de ma maman pour ce plaisir. Ses yeux sont noirs et méchants alors je vais choisir de devenir une femme de devoir comme elle, même s’il me faut renier le plaisir. » (Témoignage C.B.)
L’enfant sent le secret que maman cache avec ses résistances pour autant il ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas aimer plus. Il va jusqu’au bout de son amour, au risque de s’y perdre. Il découvre sa propre limite car il découvre que son amour ne suffit pas à tout réparer.
« J’aimerais tant la voir sourire à nouveau, sentir la joie lui traverser le corps ! Dans la main de papa, je sens la présence de l’autre femme, ça me dégoûte ce mensonge. Mon papa, il est si triste aussi. Il étouffe. Il a besoin de rigoler. Avec l’autre, il se détend et rit. Avec maman Il est très sérieux et toujours de mauvaise humeur, comme si c’était de sa faute. Et moi, j’aimerais pouvoir les aider. Papa aime maman mais elle ne le voit pas. Et maman aime papa mais il ne le voit pas. Je ne veux pas de tout ce mensonge, ça me dégoûte ! J’aimerais les réunir et les voir sourire à nouveau. Quel bonheur ce serait ! J’vais faire quelque chose pour arrêter tout ce mensonge… » (Témoignage S.M.)

Dans un paroxysme de douleur, pris entre sa perception du possible de maman et son mensonge, il frôle la folie. Il doit décider de manifester la vérité ou le secret de maman. Il va mettre en place une stratégie de renoncement à maman « que je ressens ». Une partie de ses perceptions vont être refoulées et alimenter son subconscient. Du vécu de cette expérience, ce qu’il garde devient sa vérité, ce qu’il perd devient son mensonge. Il va le faire à sa façon, créant un automatisme réflexe de comportement lié à sa propre sensibilité et à son expérience personnelle. A sa façon donc, il devient héritier du secret familial au travers de la dualité vérité/mensonge et de la douleur de son trop-petit-amour.
« Cette tristesse, je la reconnais bien, elle m’est familière depuis une certaine journée de mes 4 ans, journée où j’étais convaincue d’arriver à faire stopper le déchaînement de violence de mon papa sur les fesses de mon frère. J’ai eu beau n’interposer au risque de recevoir moi-même une gifle, j’ai eu beau appeler vainement maman pour qu’elle réagisse auprès de son mari, rien, absolument rien n’y a fait.
Au contraire, une sévère punition m’est tombée dessus, embarquée de force dans ma chambre, sommée d’y rester, je n’ai eu que mon pouce pour me consoler et mes pleurs pour me calmer. Impuissante et triste de n’avoir pas réussi à aider mon frère, mon petit cœur de sauveuse est resté inconsolable et s’est rempli d’un immense chagrin.
Aujourd’hui encore, lorsque je sens cette vague de mélancolie me submerger, je reconnais ses goûts d’incompréhension. » (Témoignage C.D.)

Ce traumatisme qu’on appelle traumatisme de la petite enfance est celui du secret familial. Il est fondateur, une étape inévitable de l’adaptation au monde des humains. Il vient mettre un voile sur la perméabilité de l’enfant à « ce qui est », poser une limite à une partie de ses ressentis et à sa puissance de connexion à maman.
Et, tout comme le traumatisme naissance qui, en mettant fin à la fusion avec le ventre de maman, a permis de voir naître l’amour avec maman, le traumatisme de la petite enfance, en instaurant une limite à l’emprise à l’amour de maman, va permettre à l’amour avec papa de se mettre en place.
Et arrive le monde de l’enfance…
Ecrit par Laure Germain
Psychanalyste corporelle

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