La lettre

La psychanalyse corporelle, pour renouer avec son pays d’origine.

Témoignage d’Isabelle Barsamian

Kinésithérapeute, masseuse et psychanalyste corporelle en Belgique, Isabelle Barsamian témoigne de son parcours au cœur dune aventure qui lamène jusqu’à son pays dorigine, lArménie.

Vous avez été kinésithérapeute, masseuse, pourquoi vous êtes-vous formée à la psychanalyse corporelle ?

En tant que kinésithérapeute, je me suis toujours demandé et cherché à comprendre

pourquoi mes patients revenaient avec les mêmes pathologies, quest-ce qui se passait à lintérieur des personnes pour que cela soit ainsi ? La psychanalyse corporelle répond tout à fait à cette question. Cela m’a permis de pouvoir traiter les problèmes physiques de mes patients de kiné ou de massage, mais aussi de les accompagner à en trouver le sens. La psychanalyse corporelle révèle le pourquoi notre corps est ainsi fait, lié à notre histoire. Elle donne sens à nos tensions, le pourquoi, par exemple, dune tendance au surpoids, pourquoi un corps tordu de telle manière… Elle nous éclaire du lien intime entre notre intériorité et notre forme extérieure.

Qu’est-ce que cela a changé dans votre pratique ? Vous avez développé un accompagnement particulier, je crois.

La formation ma servi dabord à approfondir mon ancien métier. Puis je me suis mise à l’écoute des personnes venant à moi à cause dun problème récurrent, une difficulté par rapport à un deuil, une souffrance au travail, et jai cherché le lien entre le problème physique et les événements de leur vie … La psychanalyse corporelle va alors donner du sens à tout cela et répondre à la problématique de la personne.

Aujourd’hui, en plus de mon cabinet de psychanalyse corporelle en Belgique, jaccompagne les femmes obèses afin quelles se réconcilient avec leur corps et leurs difficultés physiques, une route que jai moi-même empruntée.

 

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Vous êtes arménienne, et vous retournez depuis peu régulièrement en Arménie. Est-ce la psychanalyse corporelle qui vous a poussée à renouer avec votre pays d’origine ?

Oui, je suis arménienne. La découverte du traumatisme de la petite enfance ma permis de voir à quel point je suis à lidentique de ce pays, je suis une petite cellule de ce grand corps qui est lArménie. Jai pu revivre ma propre histoire totalement réconciliée avec mes bourreaux, je me suis demandée si lhistoire de lArménie ne pourrait être relue, elle aussi, avec le point de vue «Ni bourreau ni victime » propre à la psychanalyse corporelle…

Je me suis rendue compte à la découverte du traumatisme de la naissance que je ne voulais pas quitter le ventre maternel, jy étais tellement bien en lien avec ma maman, protégée du monde extérieur. Cest avec un grand non à tout, que ma personnalité sest construite. Jai limpression d’être en guerre tout le temps. Je me juge sans cesse, me mets en guerre contre moi-même, contre mon corps. Exactement de la même manière que ce pays qui est toujours en guerre. Il est vieux de plus de 3000 ans et sil existe encore cest grâce à la Foi et la religion, pourtant il est toujours en conflit. Cette Foi, je la ressens aussi au fond de moi.

Bien plus tard, il y a six ans environ, une amie denfance, épouse dun Arménien, me propose daller faire du bénévolat avec elle là-bas. Sa proposition a immédiatement ravivé ma flamme et maintenant jy vais trois à quatre fois par an.

Que faites-vous en Arménie ? de la psychanalyse corporelle ?

Je me suis dabord inscrite dans lassociation de bénévoles AVC , et les organisateurs mont proposé de donner des cours de massage à des thérapeutes aveugles, de faire un travail corporel avec des psychologues travaillant avec des enfants et des adolescents. De mon côté, je leur ai demandé de m’aider à organiser des conférences sur la psychanalyse corporelle. Ils mont alors dirigé vers la fondation Kasa , association  arménienne- suisse et je suis tombée sur une personne formidable qui a déployé toute son énergie pour m’aider dans cette organisation.

Très vite, suite à la première conférence, il y avait un groupe de 4-5 personnes intéressées à entamer une psychanalyse corporelle et c’est comme ça qu’elle a débuté en Arménie.

Grâce à l’association AVC, je donne aussi des cours dans la section psychologie à luniversité, en première et deuxième année. Je leur apprends à traiter leur douleur afin d’être bien dans leur peau eux-mêmes pour pouvoir bien accompagner. Jaccompagne des psychologues et psychothérapeutes dans différents mouvements (Croix rouge, associations soccupant de soldats revenus du front…) pour les aider à trouver le meilleur deux-mêmes lorsquils sont avec leurs patients.

 

 

Etes-vous satisfaite de votre expérience en Arménie ?

Oui cest une sacrée aventure. Au niveau de la psychanalyse corporelle, les femmes que jai accompagnées ont fait un magnifique chemin. Il a fallu canaliser la verbalisation où il n’y avait pas de véritable écoute au début. Au niveau corporel, elles ont accepté le cadre que la technique demande comme par exemple de venir sans maquillage, bijoux et téléphone. Elles ont surtout appris à parler delles-mêmes, de leurs ressentis, devant les autres, ce qui n’était pas facile pour elles ! Dans la mentalité arménienne, on ne parle pas de sa vie privée devant nimporte qui. Pourtant, ce sont des femmes qui travaillent ensemble depuis longtemps, elles se connaissent bien mais leurs échanges étaient superficiels. Ce sont maintenant plus que des collègues. Elles osent parler de leurs difficultés, il y a une vraie solidarité entre elles.

Aujourdhui cependant,  ces femmes ont de lappréhension à revivre physiquement leurs scènes traumatiques, la peur prend le dessus, surtout par rapport à la scène de lenfance, et dès lors cela freine le processus psychanalytique. La notion de « Ni bourreau, ni victime » nest pas encore suffisamment sentie pour pouvoir accepter ce qui sest passé au sein de la famille. Cette « famille » de sang est encore un domaine inviolable dans leurs croyances, quil est impossible pour le moment dexprimer ce qui a été vécu en son sein.

Comme les trois premiers traumatismes ont lieu dans la famille, cest compliqué.

Alors jen suis venue à leur proposer aussi un autre type daccompagnement, des ateliers  « Goût de Vie », qui permet de sapprocher du cœur de leur histoire personnelle de manière plus douce et néanmoins profonde. Cest une nouvelle approche qui utilise les organes des sens pour réveiller leurs souvenirs, ainsi pourront-elles accéder à leur histoire et l’accepter avant de poursuivre plus loin en psychanalyse corporelle.

 

 

En quelques mots, quest-ce que la psychanalyse corporelle vous a apporté dessentiel ?

La PC ma permis de mettre du sens à tout ce qui marrive et de me rendre compte que toute ma vie est liée dun fil blanc.

Mon point de départ est davoir mis du sens au poids que jai pris, du comment je suis passée dun corps dune petite fille minus, à un corps de femme obèse.

Jai appris à faire la Paix avec ce corps et de plus en plus avec cette femme éternellement en guerre.

Je me rends compte que les guerres extérieures dans le monde entier, je ne peux rien y changer, mais jai le pouvoir de faire la Paix avec moi-même pour pouvoir la faire avec lautre. Cela ma permis de cheminer vers une vraie paix intérieure qui me fait voir le monde de manière différente pour avoir une vie plus apaisée et jespère peut-être que cela ira bien au-delà de moi un jour.

Propos recueillis par Séverine Matteuzzi

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