Ah, l’adolescence !
Quelle période que l’adolescence ! Qui n’a pas vécu de grands frissons, de belles passions, des instants de colère démesurée, ou d’ennui. Tout cela vécu avec fougue ou au contraire de façon si discrète que rien n’était visible à l’extérieur !
C’est bien un moment particulier que l’adolescence, plein de confusion, de remise en question, d’incompréhension tant pour le jeune que pour ses parents et son entourage.
Jean-Marie Montagut, proche collaborateur de Bernard Montaud, président de l’IFPC et co-fondateur d’Artas Entraide, nous propose le point de vue du psychanalyste corporel, sur cette période si mystérieuse, étayé par son expérience personnelle. Cette lettre est la première d’une série dédiée aux 4 traumatismes revécus en psychanalyse corporelle.
Depuis plus de 40 ans en psychanalyse corporelle, nous accompagnons des personnes à retrouver les moments-clés du traumatisme de l’adolescence. C’est un événement psychique incroyable où nous avons pris une décision définitive que nous avons enfouie au plus profond de nous pour ne plus en souffrir. Cet article a pour but d’en souligner quelques aspects.
Un être en profonde mutation,
L’adolescent sort tout juste de l’enfance. Depuis la naissance il a toujours été tourné vers le cocon familial. Maintenant, il a besoin de se détacher de sa famille et de devenir indépendant, c’est pourquoi il peut en faire voir de toutes les couleurs à ses parents et pense (souvent) qu’ils sont des imbéciles. Cela répond à un besoin profond de penser par soi-même, de se différencier et de sortir de son milieu familial.
Bien sûr, il ne peut pas encore le faire financièrement mais cette période dite de « crise de l’adolescence » est indispensable pour ne pas devenir des « Tanguy » incapables de quitter le cocon familial. L’adolescent est mû par un idéal qui le pousse à aller voir ailleurs, de la même manière que le bébé à la naissance n’a pas d’autre choix que de quitter le ventre de sa maman s’il ne veut pas mourir. Ce n’est pas pour autant qu’il est contre sa maman. Eh bien, il en est de même pour l’adolescent qui est obligé de s’opposer à ses parents pour assumer sa différence, son autonomie. La famille sert donc de « ventre » le temps dont il a besoin pour grandir jusqu’au jour où il n’a pas d’autre choix que de quitter ce cocon rassurant, porté par un rêve, un amour idéal qui lui donne le courage de s’en extraire.
Sa motivation : une quête d’amour absolu, idéal !
Quelle est cette force qui le pousse à l’extérieur ?
Si l’on regarde bien, se noue au sein de la famille une quête d’amour.
Dans le ventre maternel, nous avons tous vécu un amour, une communion, un paradis, que nous perdons à la naissance et allons sans cesse rechercher dès la coupure du cordon. Dans la petite enfance, l’enfant est attiré par sa maman, une maman soleil, et c’est pour elle qu’il apprend à marcher, à parler, toujours pour se rapprocher d’elle, effacer la distance entre elle et lui. Puis suite à un événement primordial dans la vie d’un enfant, celle de la rentrée à l’école, un monde extérieur apparaît et l’enfant va alors chercher un amour qui le rassure et le protège, une figure paternelle à conquérir. L’arrivée de l’adolescence est à nouveau une sortie de ventre, celui de la famille, et l’idéal cette fois va porter les traits d’un amoureux, d’une amoureuse autre que papa – maman.
Pour ma part, c’est l’attrait puissant que je ressentais pour le sexe opposé qui m’a invité à vouloir quitter ma famille. En effet, je ne supportais plus de me soumettre à l’autorité de mes parents, n’adhérant plus à leurs valeurs rigides. Les « filles » étaient pour moi synonyme d’évasion. Je m’imaginais un monde de douceur où je pouvais enfin vivre en toute liberté, sans contraintes. Je rêvais d’en côtoyer une, d’être proche d’elle. J’avais soif d’une belle rencontre !
L’adolescent va donc être confronté à un nouveau monde, celui de l’autre avec les émois amoureux qui se réveillent. Ce nouveau monde s’offre à lui à travers « l’amoureux » dont il ne connaît pas les modalités de rencontre : comment lui parler ? Est-ce que je peux le toucher ? C’est une vraie conquête qui nécessite de dépasser sa timidité et sa peur d’être maladroit ou de se faire repousser. Lui exprimer son amour équivaut au plus grand des courages tant c’est un monde inconnu à traverser pour faire cette rencontre.
L’ado recherche, comme dans toutes les étapes précédentes de sa vie, à entrer en communion avec l’autre, vivre cet amour idéal !
Le traumatisme source de décisions importantes.
C’est là que se joue le traumatisme, cet événement crucial qui l’amène à faire des choix particuliers. C’est un moment psychique d’une intensité incroyable que nous avons occulté. Et j’en veux pour preuve tous les cas où les personnes que nous avons accompagnées dans ce revécu, pouvaient avoir des souvenirs de leur adolescence, mais se sont aperçues qu’elles avaient complètement oublié la souffrance centrale qui les habitait à cette époque.
Par exemple, je me souvenais de mon lycée et de ma classe, mais j’avais oublié que j’en étais exclu. Lors de ma cure, j’ai retrouvé un ado affublé d’un sobriquet, un ado à qui toute la classe donnait un surnom sans que je ne sache pourquoi. Lorsque j’ai revisité le cœur de ma souffrance, j’ai découvert la cause de ce surnom. J’avais été piégé, deux garçons de ma classe m’avaient proposé un rendez-vous pour rencontrer des filles et je me suis retrouvé être au centre de leurs railleries, abusé, ridiculisé, humilié. J’avais effacé complètement de ma mémoire cet événement précis avant de le retrouver dans ma psychanalyse corporelle. Je ne me souvenais ni du surnom, ni des circonstances qui m’ont valu d’être appelé Marguerite. A partir de ce jour, l’adolescent que j’étais s’est méfié du genre humain et s’est tourné vers Dieu, le seul en qui il pouvait avoir confiance.
A l’époque aucun adulte de mon entourage ne pouvait se rendre compte de ce que je vivais réellement et profondément.
Si nous tous nous nous posons la question : « Et comment j’étais quand j’étais adolescent ?», il nous reviendrait une kyrielle de souvenirs généraux mais pas la véritable souffrance dans laquelle nous étions plongé à cette époque.
L’adolescent vit dans son for intérieur une extrême solitude et en même temps il est à la quête d’un idéal. Les adultes ne se doutent pas des souffrances en jeu derrière le comportement irritable et instable des adolescents, leurs agissements et leurs choix. Si je reprends mon exemple personnel, j’étais dans une section technique en première et après un premier redoublement sans plus de succès, j’ai décidé subitement de passer en section littéraire parce que j’étais persuadé que j’avais été mal orienté.
Comment cela se fait-il qu’un adolescent soit capable de faire trois premières ? C’est quelque chose d’incroyable ! Quelles sont les souffrances qui l’habitent pour se comporter d’une telle manière ? En tout cas, moi, je ne me souvenais pas du réel pourquoi. En fait, en découvrant mon traumatisme de l’adolescence je me suis rendu compte que ce n’était pas parce que j’avais été mal orienté, mais tout simplement parce qu’il était insupportable pour moi de continuer à fréquenter les personnes avec qui mon traumatisme avait eu lieu. Je ne me souvenais pas de ce qu’il m’était arrivé et à quel point c’était violent et douloureux.
Donc j’ai réussi à convaincre le conseil de classe jusqu’à me convaincre moi-même pour me protéger. Ni mes parents, ni personne ne s’en sont rendu compte.
Une décision qui a impacté tout mon avenir et dont j’ignorais pourtant la véritable cause!
Alors aujourd’hui, quand il m’arrive de croiser « d’étranges » ados, dont l’attitude m’échappe, me reviennent les découvertes faites durant ma cure de psychanalyse corporelle. Je repense à l’adolescent que j’étais, poussé par son idéal dans un piège qu’il flairait pourtant. Je repense aussi aux deux « larrons » de ma classe, qui poussés par leur désespoir, n’étaient en vérité pas mieux lotis que moi pour en arriver à de tels actes.
Apaisé de mon histoire passée, je peux alors regarder ces ados avec un sourire de tendresse et compréhension. Chacun à notre façon, nous sommes passés par ce monde où il n’est pas simple de devenir adulte.
Là est toute la portée inconsciente des traumatismes que nous avons subis. Aujourd’hui encore, sans connaissance profonde de nos mécanismes intérieurs, nous réagissons conformément à ce que nous avons appris à ces instants-clés, constructeurs de notre personnalité.
Propos recueillis par Séverine Matteuzzi.
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