
Ah, l’adolescence !

Quelle période que l’adolescence ! Qui n’a pas vécu de grands frissons, de belles passions, des instants de colère démesurée, ou d’ennui. Tout cela vécu avec fougue ou au contraire de façon si discrète que rien n’était visible à l’extérieur !
C’est bien un moment particulier que l’adolescence, plein de confusion, de remise en question, d’incompréhension tant pour le jeune que pour ses parents et son entourage.
La présente lettre propose le point de vue du psychanalyste corporel, sur cette période si mystérieuse, étayé par le témoignage d’un psychanalysé que nous nommerons ici Thierry. Cette lettre est la première d’une série dédiée aux 4 traumatismes revécus en psychanalyse corporelle.
Depuis plus de 40 ans en psychanalyse corporelle, nous accompagnons des personnes à retrouver les moments-clés du traumatisme de l’adolescence. C’est un événement psychique incroyable où nous avons pris une décision définitive que nous avons enfouie au plus profond de nous pour ne plus en souffrir. Cet article a pour but d’en souligner quelques aspects.
Un être en profonde mutation,
L’adolescent sort tout juste de l’enfance. Depuis la naissance il a toujours été tourné vers le cocon familial. Maintenant, il a besoin de se détacher de sa famille et de devenir indépendant, c’est pourquoi il peut en faire voir de toutes les couleurs à ses parents et pense (souvent) qu’ils sont des imbéciles. Cela répond à un besoin profond de penser par soi-même, de se différencier et de sortir de son milieu familial.
Bien sûr, il ne peut pas encore le faire financièrement mais cette période dite de « crise de l’adolescence » est indispensable pour ne pas devenir des « Tanguy » incapables de quitter le cocon familial. L’adolescent est mû par un idéal qui le pousse à aller voir ailleurs, de la même manière que le bébé à la naissance n’a pas d’autre choix que de quitter le ventre de sa maman s’il ne veut pas mourir. Ce n’est pas pour autant qu’il est contre sa maman. Eh bien, il en est de même pour l’adolescent qui est obligé de s’opposer à ses parents pour assumer sa différence, son autonomie. La famille sert donc de « ventre » le temps dont il a besoin pour grandir jusqu’au jour où il n’a pas d’autre choix que de quitter ce cocon rassurant, porté par un rêve, un amour idéal qui lui donne le courage de s’en extraire.

Sa motivation : une quête d’amour absolu, idéal !
Quelle est cette force qui le pousse à l’extérieur ?
Si l’on regarde bien, se noue au sein de la famille une quête d’amour.
Dans le ventre maternel, nous avons tous vécu un amour, une communion, un paradis, que nous perdons à la naissance et allons sans cesse rechercher dès la coupure du cordon. Dans la petite enfance, l’enfant est attiré par sa maman, une maman soleil, et c’est pour elle qu’il apprend à marcher, à parler, toujours pour se rapprocher d’elle, effacer la distance entre elle et lui. Puis suite à un événement primordial dans la vie d’un enfant, celle de la rentrée à l’école, un monde extérieur apparaît et c’est à nouveau une sortie de ventre, l’enfant va alors chercher un amour qui le rassure et le protège, une figure paternelle qui deviendra à nouveau un amour à conquérir jusqu’à l’arrivée de l’adolescence où l’idéal va porter les traits d’un amoureux, d’une amoureuse autre que papa – maman
Pour Thierry, c’est l’attrait puissant qu’il ressentait pour le sexe opposé qui l’a invité à vouloir quitter sa famille. « Je ne supportais plus de me soumettre à l’autorité de mes parents, n’adhérant plus à leurs valeurs rigides, écrit-il. Les « filles » étaient pour moi synonyme d’évasion. Je m’imaginais un monde de douceur où je pouvais enfin vivre en toute liberté, sans contraintes. Je rêvais d’en côtoyer une, d’être proche d’elle. J’avais soif d’une belle rencontre ! »
L’adolescent va donc être confronté à un nouveau monde, celui de l’autre avec les émois amoureux qui se réveillent. Ce nouveau monde s’offre à lui à travers « l’amoureux » dont il ne connaît pas les modalités de rencontre : comment lui parler ? Est-ce que je peux le toucher ? C’est une vraie conquête qui nécessite de dépasser sa timidité et sa peur d’être maladroit ou de se faire repousser. Lui exprimer son amour équivaut au plus grand des courages tant c’est un monde inconnu à traverser pour faire cette rencontre.
L’ado recherche, comme dans toutes les étapes précédentes de sa vie, à entrer en communion avec l’autre, vivre cet amour idéal !

Le traumatisme source de décisions importantes.
C’est là que se joue le traumatisme, cet événement crucial qui l’amène à faire des choix particuliers. C’est un moment psychique d’une intensité incroyable que nous avons occulté. Les personnes qui ont été accompagnées dans ce revécu pouvaient avoir des souvenirs de leur adolescence mais se sont aperçues qu’elles avaient complètement oublié la souffrance centrale qui les habitait à cette époque.
Thierry raconte : « je me souvenais de mon lycée et de ma classe, mais j’avais oublié que j’en étais exclu. Lors de ma cure, j’ai retrouvé un ado affublé d’un sobriquet, un ado à qui toute la classe donnait un surnom sans que je ne sache pourquoi. Marguerite ! voilà comment ils m’appelaient ! Lorsque j’ai revisité le cœur de ma souffrance, j’ai découvert la cause de ce surnom. J’avais été piégé, deux garçons de ma classe m’avaient proposé un rendez-vous pour rencontrer des filles et je me suis retrouvé être au centre de leurs railleries, abusé, ridiculisé, humilié. J’avais effacé complètement de ma mémoire cet événement précis avant de le retrouver dans ma psychanalyse corporelle. Je ne me souvenais ni du surnom, ni des circonstances qui m’ont valu d’être ainsi appelé. A partir de ce jour, l’adolescent que j’étais s’est méfié du genre humain et s’est tourné vers Dieu, le seul en qui il pouvait avoir confiance. »
A l’époque aucun adulte de son entourage ne pouvait se rendre compte de ce qu’il vivait réellement et profondément.
Si nous tous nous nous posons la question : « Et comment j’étais quand j’étais adolescent ?», il nous reviendrait une kyrielle de souvenirs généraux mais pas la véritable souffrance dans laquelle nous étions plongé à cette époque.
L’adolescent vit dans son for intérieur une extrême solitude et en même temps il est à la quête d’un idéal. Les adultes ne se doutent pas des souffrances en jeu derrière le comportement irritable et instable des adolescents, leurs agissements et leurs choix. Thierry nous a confié son histoire : il était dans une section technique en première et après un premier redoublement sans plus de succès, il a décidé subitement de passer en section littéraire parce qu’il était persuadé qu’il avait été mal orienté.
Comment cela se fait-il qu’un adolescent soit capable de faire trois premières ? Quelles sont les souffrances qui l’habitent pour se comporter d’une telle manière ? Thierry ne me souvenait pas du réel pourquoi, juste qu’il a réussi à convaincre le conseil de classe jusqu’à se convaincre lui-même que c’était la bonne décision. En fait, en découvrant son traumatisme de l’adolescence, il s’est rendu compte que ce n’était pas parce qu’il avait été mal orienté, mais tout simplement pour se protéger, parce qu’il était insupportable pour lui de continuer à fréquenter les personnes avec qui son traumatisme avait eu lieu. Il ne me souvenait pas de ce qui lui était arrivé et à quel point c’était violent et douloureux. Ni ses parents, ni personne ne s’en sont rendu compte.
Une décision qui a impacté tout son avenir et dont il ignorait pourtant la véritable cause!
Aujourd’hui, quand il lui arrive de croiser « d’étranges » ados dont l’attitude lui échappe, lui reviennent les découvertes qu’il a faites durant sa cure de psychanalyse corporelle. Il confie : « je repense à l’adolescent que j’étais, poussé par son idéal dans un piège qu’il flairait pourtant. Je repense aussi aux deux « larrons » de ma classe qui, poussés par leur désespoir, n’étaient en vérité pas mieux lotis que moi pour en arriver à de tels actes. » Apaisé de son histoire passée, il peut aujourd’hui regarder ces ados avec un sourire de tendresse et de compréhension.
Chacun à notre façon, nous sommes passés par ce monde où il n’est pas simple de devenir adulte.
Là est toute la portée inconsciente des traumatismes que nous avons subis. Aujourd’hui encore, sans connaissance profonde de nos mécanismes intérieurs, nous réagissons conformément à ce que nous avons appris à ces instants-clés, constructeurs de notre personnalité.


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