La psychanalyse corporelle m’a permis de découvrir que le choix de nos loisirs est conditionné par notre aptitude à vivre ou plutôt à accéder à notre propre plaisir.
La source de nos comportements face au plaisir se détermine durant la construction de notre être psychique avec, tout d’abord, la naissance – le traumatisme primordial – qui instaure notre personnalité et trois événements précis, les traumatismes secondaires qui vont la structurer : un dans la petite enfance, un dans l’enfance, un dans l’adolescence.
Nous avons certes une carte d’identité extérieure avec un nom, un prénom, une adresse… mais nous avons surtout une carte d’identité intérieure nous programmant dans une manière d’être unique ou plutôt dans une manière unique de souffrir.
C’est le mystère de l’existence humaine. Avec ce besoin permanent de souffrir pour nous reconnaître et nous sentir exister, nous provoquons ou interprétons sans cesse des situations présentes fidèlement à notre passé selon un des trois axes correspondant à l’un des trois traumatismes secondaires, vérifiant ainsi : « Ah, c’est bien moi ! », par une superposition passé/présent automatique inconsciente, et sauvant ainsi notre raison. Tel un trésor caché dans un coffre-fort, notre histoire personnelle, qui conditionne tous nos comportements présents, est enfouie dans notre subconscient.
Nous sommes devant l’unique choix, celui de bien vivre ou mal vivre avec notre programmation intérieure. Sans travail intérieur, nous choisissons, sans le savoir, plutôt de mal vivre.
La psychanalyse corporelle m’a été d’une aide précieuse pour rencontrer de façon très concrète cette petite fille toujours présente au fond de moi. La connaissance de mon passé m’a permis de mettre un nom sur chacune de mes trois blessures, et surtout de comprendre, à travers ce scénario traumatique que je répétais sans cesse, la femme que j’étais devenue : une femme toute coincée ne laissant aucune place à ses envies, mais a contrario saturant ses journées d’obligations, étouffant sa féminité, sa sensualité, ses désirs sexuels et ne se donnant aucune valeur.
Autant dire qu’à cette époque, le mot « loisir » ne faisait pas partie de mon vocabulaire.
Je me sentais toute de plomb, fermée, coincée, muette, mais néanmoins avec dedans l’envie furieuse de vivre. Je m’éteignais, mon corps devenait de plus en plus raide, et surtout je mettais ma vie en danger : à force d’étouffer, d’éteindre la vie en moi, la maladie finit un jour par pointer le bout de son nez.
La psychanalyse corporelle m’a permis de reconquérir mon corps. Je retenais tellement la vie. Lui, il connaissait la route, avec toutes mes résistances traumatiques, je le bloquais, j’ai appris à le laisser faire, à lui faire confiance, à faire confiance en la vie.
Dans ce travail de recherche sur le passé, j’ai retrouvé une petite fille profondément amoureuse de la vie, connaissant le caractère précieux, sacré de la vie sur terre, s’enchantant d’un tout petit rien, une petite fille remplie de féminité, de sensualité goûtant dans ses chairs à des plaisirs brûlants, une jeune adolescente vivant le temps d’un court instant, un amour pur terrestre.
Apprendre à faire l’amour avec les petits évènements
de la vie ordinaire
La connexion à cette dimension profonde de mon être m’a alors donné l’envie de transformer ma vie.
L’idée de rester besogneuse, de vivre en catimini jusqu’à la fin de mes jours m’était devenue insupportable.
Apprendre à aimer la besogneuse fut le premier pas de mon chemin de transformation intérieure, sourire sur celle qui ne se laissait aucun espace de vie au quotidien, qui arrivait éreintée à la fin de ses journées. Sans cette étape, rien de plus n’aurait été possible. Le deuxième pas, le dépassement de ma propre histoire a été ensuite une vraie rééducation au plaisir, au monde des envies dans ma vie ordinaire ; ce secteur, qualifié par la psychanalyse corporelle de « sexualité dans l’ordinaire », m’a permis et me permet encore aujourd’hui d’apprendre à faire l’amour avec les petits événements de la vie ordinaire.
Aujourd’hui, c’est toujours la même chose, chaque jour, je dois choisir entre me lever avec l’obsession d’exécuter la liste des obligations que je me suis formatée dans la tête dès le réveil, ou décider un autre destin pour mon être, un destin où je m’accorderais un millimètre d’importance supplémentaire par rapport à d’habitude, où je prendrais le temps de réveiller mon corps, où je dégusterais un petit-déjeuner de mon choix, je prendrais un temps délicieux pour m’occuper de moi à la salle de bain… Ce n’est pas grand-chose en soi, mais ce n’est pas du tout la même journée qui démarre. Alors, mon esprit, avec ce millimètre d’importance que je me suis accordée dès le réveil, n’est plus le même ; les choses deviennent plus claires et, dans cette liste des obligations sans fin, je discerne des impératifs que je m’étais fixés pour la journée, mais qui en fait n’en sont pas. De fausses obligations, de toute façon, je le sais, il en restera quand même. Je suis beaucoup trop subtile dans ce fonctionnement de fuite de mes envies. Mais quelle importance ? Ce qui compte, c’est passer de la femme besogneuse à la femme tentant des expériences de dépassement dans son plaisir.
Ma journée commence ; je dois aller travailler. Comment ne pas perdre le cap du sourire sur la besogneuse dans ces journées où les obligations s’enchaînent les unes après les autres ?
Je découvre alors la main amoureuse de la kinésithérapeute qui accueille le patient qu’elle touche, qu’elle masse parce que, dans ce même instant, elle a tout simplement su s’accueillir en imperfection pour elle-même.
De même, prendre le temps de boire un verre d’eau ou de m’asseoir 5 minutes quand je suis débordée caresse mon âme ; par cette attention délicate accordée à mon être, je deviens importante à mes propres yeux.
Reconnaître ce pur instant de bonheur lorsque je prends le temps de déguster un café, notamment ce goût corsé qui me réveille à ma propre puissance amoureuse de vie, à la puissance de cette petite fille et par conséquent à celle de la femme, me procure une joie indicible.
Ces petits instants de bonheur conscients et sans éclat qui agrémentent mes journées ont peu à peu transformé mon être, ont réveillé la femme de plaisir.
Aujourd’hui, je sais que le plaisir est à portée de main,
partout, tout le temps
Dans une progression millimétrique, je me suis aussi réconciliée peu à peu avec mon corps, j’ai appris et j’apprends encore à l’aimer ; dans une transparence secrète de moi à moi, je reconnais, j’accepte les parties de mon corps que j’aime, celles que j’aime moins tellement elles me renvoient au cœur brûlant de ma propre histoire. J’apprends à le connaître, à reconnaître ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas, j’ap
prends aussi à reconnaître mes fantasmes sans les juger.
Pour lire l’article en entier, Reflets n° 24 pages 50 à 52
Valérie Robert
Masseur-kinésithérapeute DE, diplômée des Universités Louis Pasteur de Strasbourg en médecine physique.
Psychanalyste corporelle et secrétaire générale de l’Institut français de psychanalyse corporelle(IFPC).
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