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La lettre n°17 – Juin 2016

03 06 2016

EDITORIAL

Peut-on se passer de pardonner ?

 

PICASSO Pablo, La Paix, 1952,

« Ce qui fonde désormais la peine, ce n’est plus la défense de la société mais la souffrance de la victime, au point de rendre la prescription du crime inconcevable. »
J.C. Guillebaud,  dans sa chronique parue dans La Vie le 28 avril, attire notre attention sur ce point et questionne les conséquences propres à cette évolution.
Selon notre essayiste « 60 ans après la souffrance est toujours là « . Il deviendrait impossible d’ « effacer » le crime, c’est à dire qu’il soit prescrit. Cela se vérifie non seulement pour les crimes liés à la pédophilie (confère affaire Barbarin) mais également pour les attentats  récents  de Paris ou Bruxelles.

Toutefois l’Histoire nous prouve que la paix et la réconciliation sont nécessaires pour la pérennité de la société. Le conflit entre l’Allemagne et la France  l’illustre aisément, il aura bien fallu éteindre ce feu de haines, de violences croisées  entre les deux nations. Le projet européen est l’illustration effective.
Comment croire que nous pourrions désormais nous dispenser d’un tel « effacement » consenti ! A travers les images, les discours proférés, les bombes, les massacres perpétrés, tout nous incite à en découdre, à régler des comptes ; point de réconciliation à l’horizon! Or il nous faudra bien un jour  oeuvrer  à  ce parcours en réconciliation que ce soit chez nous ou en Irak comme en Syrie et ailleurs!
Comment ferons-nous ?
Ce qui vaut pour les peuples ne vaut-il pas pour les individus ? Peut-on se passer de réconciliation à notre échelle ?
Je recevais récemment dans mon cabinet un fils et son père. Depuis quelques mois, le fils en veut à son père. Ils s’étaient battus suite à un intrusion du père dans la chambre de l’adolescent, persuadé  que son fils perdait son temps au lieu de réviser pour le bac.
L’un comme l’autre ne peuvent envisager d’autre compromis que « moins on se voit, mieux c’est ».
Tout est mis à distance, le problème, les personnes. On se condamne à entretenir un feu de colère, de rancoeurs, dont chacun pense que le temps en viendra à bout.
Impasse implacable dont aucun ne sortira indemne sauf à trouver le chemin d’une vraie réconciliation.
Il importerait non seulement de pouvoir tout dire et entendre depuis les ressentis de l’adolescent victime meurtri, mais encore de pouvoir réaliser que les motifs prêtés au père ne se limitent pas à ce qu’ils paraissent !

Ce parcours de désamorçage du conflit jusqu’à parvenir à une pacification et à une réconciliation constitue précisément le coeur de la psychanalyse corporelle.
Encore faut-il que s’impose en son for intérieur un « ça suffit ! Je ne peux continuer à vivre avec de telles haines et rancoeurs vis à vis de l’autre! »…Pacification possible donc à l’échelle de nos vies individuelles comme l’illustre ce conflit père-fils!

Et à l’échelle des crimes et violences dont témoigne le monde d’aujourd’hui?
La responsabilité de chacun à s’en occuper est grande, car à défaut de s’y atteler individuellement, l’absence de réconciliation profonde et durable ne pourra que générer cette énergie de guerre qui déborde sur la planète.

Jean-Luc Kopp

UN CERTAIN REGARD…

Comme le dit Bernard Montaud dans son livre « La Psychologie Nucléaire » (1), le travail intérieur, qu’elle que soit sa forme – religieuse ou spirituelle, maçonnique ou tibétaine -, n’est ni un luxe, ni une mode passagère intellectuelle, mais une nécessité vitale pour l’espèce humaine. Après nos sociétés fondées sur le sacro-saint travail extérieur, il devient urgent que viennent celles du sacro-saint travail intérieur.

L’article de Christophe Gonzales, qui vous est présenté ci-dessous, montre combien la recherche de l’enfant intérieur est incontournable pour celui qui veut évoluer vers plus de maturité et de liberté. Ce travail intérieur demande des efforts, mais son prix en vaut vraiment la peine car il offre non seulement une véritable et profonde connaissance de soi, mais aussi il nous ouvre les portes du pardon.

MILOS Alexander, Love, 2015, sculpture en fil de fer

En quête de l’enfant intérieur

Sigmund Freud (1856-1939) a mis en lumière l’existence d’un psychisme inconscient, organisé et dynamique, créateur de symptômes pathologiques, et déterminant à notre insu notre vie psychique consciente. Cet inconscient qui se révèle peuplé de désirs infantiles, de sexualité immature, d’agressivité refoulée, a certes toujours été plus ou moins connu mais d’une manière assez vague, ou du moins sous une forme ésotérique,mystique. Freud, dans son désir de  reconnaissance auprès de l’autorité médicale de son époque, s’est coupé de toute tradition religieuse ouspirituelle.C’est Carl Gustav Jung(1875-1961) qui a fait le premier le lien entre psychanalyse et spiritualité

Aujourd’hui, les deux courants existent au sein de la psychanalyse. Ne se complètent-ils pas plus qu’ils ne s’opposent ? Toujours est-il que l’étude des traditions anciennes peut nous éclairer sur ce chemin obscur, jonché d’embuches, à la recherche de son passé, vers la connaissance de soi, et qui passe d’abord par la quête de l’enfant intérieur.
Penchons-nous d’abord sur l’enseignement de deux grands maitres spirituels, avant d’aborder la psychanalyse corporelle, dont le cœur de la pratique est la rencontre avec l’enfant intérieur.

Arnaud Desjardins (1925-2011) était sans doute le maître de tradition indoue le plus connu, du moins en France. Il avait suivi l’enseignement du guru indien Svâmi Prajnânpad, qui transcendait les formes religieuses et qui était lui-même un grand admirateur de Freud.
Dans son passionnant livre « Les chemins de la sagesse » (2), Desjardins explique largement sa vision de la connaissance de soi ; l’homme est condamné à souffrir, car le mental ne peut fonctionner que par comparaison et en référence à des souvenirs inconscients d’expériences infantiles qui dirigent à notre insu nos réactions, conditionnant nos succès ou nos échecs. Le développement de l’enfant se fait par cristallisation autour des drames de l’enfance, qui demeurent actifs dans l’inconscient. Cela donne des adultes tordus, qui voient tout de travers. Nous sommes donc tous esclaves de nos conditionnements, et c’est pourquoi les écritures sacrées parlent tant de l’affranchissement des esclaves.

Sous la conduite de leur maître, Arnaud et Denise Desjardins ont mis en œuvre une méthode originale, le lying, pour laisser s’exprimer les traumatismes infantiles refoulés dans l’inconscient. Le lying propose, à celui qui cherche à dénouer les fixations émotionnelles infantiles, de revivre ses traumatismes, afin de comprendre et d’assumer ce qu’il n’avait pu ni supporter ni résoudre à cet âge-là, et refaire le chemin manqué vers l’âge adulte.

Ce chemin comporte trois  étapes :

C’est d’abord la libération de l’émotion réprimée depuis tant d’années. Son expression entraine avec elle le retour à la conscience du souvenir traumatisant qui est revécu avec autant de réalisme qu’un drame actuel.

Ensuite, quand l’émotion a été suffisamment épuisée et qu’il est possible de revoir de façon neutre tous les détails de l’événement autrefois intolérable, il reste une rancune, une hostilité à l’égard du responsable, le père, la mère ou un substitut. Ce sentiment est dissipé par la compréhension des propres problèmes et difficultés de cet adulte fautif.

Enfin, l’ancien enfant devenu adulte voit les adultes d’autrefois comme des enfants attardés et prisonniers de leur propre inconscient, alors vient l’acceptation et le ressentiment fait place  au pardon et à l’amour. Alors, et alors seulement, nous sommes enfin libres.

Tich Nhat Hanh,maître bouddhiste zen, fondateur de la communauté du « Village des Pruniers »développe dans son livre « Prendre soin de l’enfant intérieur, Faire la paix en soi » (3)ce thème cher à la psychanalyse, celui de l’enfant intérieur qui souffre en chacun de nous.

Notre pratique, explique Thich Nhat Hanh, est fondée sur la vision profonde de la non-dualité. Colère et pleine conscience ne sont pas ennemies, elles font toutes deux partie de nous. La pleine conscience n’est pas là pour combattre ou supprimer la colère, mais pour la reconnaître et en prendre grand soin en l’enveloppant avec tendresse.

A l’instar du corps physique, notre conscience peut, elle aussi, souffrir d’une mauvaise circulation. Un bloc de souffrance, de peine, de désespoir peut s’installer, former ce que l’on appelle un nœud interne, ou formation interne, qui cherche à parvenir dans notre conscience mentale, notre salon, mais nous ne voulons pas de ces hôtes indésirables car ils sont trop douloureux à regarder. Nous voulons qu’ils restent cachés dans notre cave. Or toutes les formations mentales ont besoin de circuler, au risque si nous les entravons, de développer des symptômes de maladies mentales ou psychosomatiques. C’est là que peut intervenir notre pleine conscience, en stimulant et accélérant la circulation à travers les nœuds internes.

L’enfant qui nous habite ressent peut-être beaucoup de peur et de colère, tant il est demeuré longtemps à la cave. Si nous apprenons peu à peu à l’accueillir au salon, des blocs de souffrance risquent d’émerger, nous confrontant alors à davantage de souffrance, mais si nous acceptons leur présence alors nous pouvons les transformer avec l’énergie de pleine conscience. Chaque fois que vous offrez un bain de pleine conscience à vos formations internes, les blocs de souffrance en vous s’allègent.

Thich Nhat Hanh insiste longuement sur l’importance d’engager un dialogue avec l’enfant intérieur ; savoir l’écouter, lui parler, le réconforter constitue une méditation quotidienne qui apaisera progressivement l’enfant blessé en nous et nous nous sentirons ainsi de mieux en mieux, de plus en plus libérés.  Si nous reconnaissons et étreignons avec douceur l’enfant, le prenant tendrement dans nos bras, puis simplement en respirant en pleine conscience, si l’on se  dit  « j’inspire, je sais qu’il y a de la tristesse en moi, bonjour ma petite tristesse, j’expire, je vais bien prendre soin de toi »,alors quelques minutes suffiront pour apporter de l’apaisement, et grâce à l’énergie de la concentration nous serons en mesure de percevoir les racines de nos souffrances. C’est ainsi que la pleine conscience peut à la fois reconnaître, étreindre tendrement et soulager.

Ces deux approches nous apparaissent comme des prémices de la psychanalyse corporelle, fondée par Bernard Montaud (4). Cette psychanalyse nous donne accès à la connaissance de soi à travers le revécu des traumatismes qu’a subit l’enfant au moment de trois périodes cruciales dans son développement psychologique. Le premier de ces traumatismes survient dans la petite enfanceau moment où l’enfant découvre le mensonge en se confrontant à ce que l’on appelle le secret familial*.Le deuxième pendant l’enfance, de trois à huit ans, le détermine dans sa façon de ressentir l’ambivalence entre le plaisir et la honte. Le troisième à l’adolescence, le met face au principe de réalité en opposition à son idéal et achève de programmer l’enfant dans ses comportements de souffrances et d’échecs. En fait, ces trois traumatismes, que l’on qualifie de secondaires, sont des déclinaisons, des rappels du traumatisme fondamental de la naissance. Ce sont des sommets de souffrances psychiques qui résument trois périodes du développement de l’enfant. Ce sont donc trois enfants intérieurs qui nous habitent, trois facettes de notre personnalité, trois misères qui caractérisent notre égo.

Le revécu de ces traumatismes nous offre, non seulement la connaissance de soi, de notre passé, mais aussi l’opportunité de pardonner aux bourreaux de circonstance de notre enfance. La seule façon de nous libérer de notre passé traumatique  est de pardonner à nos bourreaux, et de se pardonner soi-même car on découvre, en cure de psychanalyse corporelle, qu’en réalité nous sommes entièrement responsables de notre histoire, responsables mais pas coupables. Innocenter l’enfant intérieur ne signifie pas accuser ses bourreaux, cela ne ferait que perpétuer une longue chaine de bourreaux-victimes-bourreaux… Le pardon s’impose de lui-même au terme du revécu corporel grâce à la compréhension de tous les tenants et aboutissants de notre histoire traumatique qui comporte parfois des origines transgénérationnelles. C’est seulement à partir de ce moment-là qu’il n’y a plus ni bourreau, ni victime (5). La réconciliation avec ses anciens bourreaux devient alors possible. Ce pardon authentique, issu d’un « tout voir », nous permet de consoler l’enfant intérieur, de l’innocenter et de consoler aussi, en parallèle, l’adulte d’aujourd’hui qui souffre toujours dans ses comportements répétitifs d’échecs déterminés par ses traumatismes.

A travers ces quelques parcours évoqués, nous pouvons comprendre que la recherche de l’enfant intérieur est incontournable pour celui qui veut évoluer vers plus de maturité et de liberté. Ce travail intérieur demande des efforts, mais son prix en vaut la peine car il offre une véritable et profonde connaissance de soi. Il nous donne surtout la possibilité de nous réconcilier avec notre passé, avec notre famille, nos parents et avec tous les petits tyrans que nous croisons dans notre vie quotidienne. Si nous ne le faisons pas, inexorablement nous alimentons de haines et de rancœurs notre « cave intérieure », pour reprendre l’expression de Thich Nhat Hanh.

Boris Cyrulnik, célèbre neuropsychiatre, cite dans son livre « De chair et d’âme », une étude américaine qui révèle que 5 à 30 % des enfants maltraités deviendront à leur tour des parents maltraitants, et il précise que la plupart du temps, l’agresseur est intra-familial, le père ou la mère, presque à égalité. Comment un enfant traumatisé, sans même parler de maltraitance, pourrait-il devenir un adulte équilibré, créatif, aimant, affranchi de son histoire traumatique passée ?

Jean Piaget (1896-1980), grand psychologue suisse, prédisait qu’un jour viendrait où la psychologie des fonctions cognitives et la psychanalyse seraient obligées de se fusionner en une théorie générale qui les améliorerait toutes les deux. Pour ma part, je me demande si ce jour n’est pas déjà arrivé; il me semble que psychologie nucléaire et psychanalyse corporelle se complètent et se renforcent mutuellement. Ne fondent-elles pas une pratique qui pourrait contribuer à faire émerger un monde en paix ?

Christophe Gonzales

 

*L’étude des modalités de ce traumatisme a fait l’objet d’un article de Muriel Casalis dans notre précédente Newsletter.

Références bibliographiques :

1 : Bernard Montaud, «  La Psychologie Nucléaire, Un accompagnement du Vivant », éd. Edit’as, 2001.

2 : Arnaud Desjardins, « Les chemins de la sagesse, Edition intégrale », éd. La Table Ronde, 1999.

3 : Thich Nhat Hanh, « Prendre soin de l’enfant intérieur, Faire la paix avec soi », éd. Belfond, 2014.

4 : Bernard Montaud et Jean-Claude Duret, « Allô mon corps, Fondements de la Psychanalyse Corporelle », éd. Edit’as, 2005.

5 : Bernard Montaud et co-auteurs, « Ni bourreau ni victime, Les apports de la psychanalyse corporelle», éd. Edit’as, 2009.

 

 

ACTUALITES

– l’assemblée générale de l’IFPC se tiendra le 3 juillet 2016.

– la 4ème promotion de formation à la conduite de psychanalyses corporelles, achèvera sa première année au terme de la semaine de formation de juillet.

– une refonte complète du site internet de l’IFPC est en cours. Nous espérons pouvoir vous présenter notre nouveau site d’ici la fin de l’année !

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