Au sommaire :
Editorial : « Vouloir un au-delà de l’homme ?… »
Un certain regard : « Foi et psychanalyse, complémentarité ou antagonisme ? » 1ère partie.
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EDITORIAL
« Vouloir un au-delà de l’homme ?… »
Décalcomania, René Magritte
Sans doute étiez-vous fan de la série l’homme qui valait trois milliards, réalisons-nous qu’aujourd’hui la réalité rejoint la fiction ? Nous assistons en effet à une révolution technologique. La conjonction de la biotechnologie, de la robotique et de l’intelligence artificielle lui confère de plus une prodigieuse accélération.
Envisager un au-delà de l’humain devient possible : modifier l’homme, l’améliorer, l’augmenter, le dépasser n’appartient plus au fantasme ni à l’utopie.
Rien ne semble pouvoir stopper les transhumanistes tant ils sont convaincus de pouvoir augmenter les capacités du cerveau humain grâce à des nanorobots, tant ils restent convaincus, par exemple, de pouvoir poser des implants électroniques dans la rétine jusqu’à pouvoir obtenir un oeil bionique. Grâce au séquençage de l’ADN, il deviendra possible non seulement de dépister les maladies, d’éradiquer par exemple la trisomie 21 mais aussi d’offrir aux parents un enfant « parfait »! Et que dire de cette bio-révolution qui nous laisse entrevoir la possibilité de moins vieillir, moins souffrir et moins mourir; il s’agit en somme de se diriger vers une nouvelle humanité où le corps ne serait plus dissocié de son appareillage électronique !…
Nous pouvons certes comprendre l’engouement que renferme cette techno-modernité, tant il ne s’agit pas de refuser ou nier les progrès scientifiques, ils demeurent nécessaires.
Pour autant rien n’interdit de percevoir le risque majeur que nous encourons quand la technologie fonctionne à ce point comme un électron libre ! Ne risquons nous pas d’être dessaisis de notre principe d’humanité ?
Cet « au-delà de l’humain » tant appelé, convoité par certains ne relègue-t’il pas au dernier plan voire supprime ce qui ressort de la dimension symbolique, de l’intériorité, de la spiritualité, de l’entraide et de l’écoute ? Et du sens ?
Je partage tout à fait les propos du psychanalyste et biologiste Jean-Guilhem Xerri : « les transhumanistes veulent changer la nature humaine dans ce qu’elle a de périssable, de corporel, et en mettant totalement de côté sa dimension spirituelle ».
Il y a urgence à réfléchir sur un plan individuel mais également collectif aux répercussions alarmantes et profondes que cette révolution technologique a déjà et aura dans nos vies.
Si l’homme est un être perfectible, de quelle croissance parlons-nous ? D’un futur « humain cyborg » aux performances sans limites ? Ou d’un homme améliorable en terme d’humanité, de tolérance, de paix, d’amour, ne redoutant par conséquent ni de vieillir, ni de mourir ? En somme un humain vivant en bonne amitié avec ses imperfections.
Jean-Luc Kopp
Psychanalyste et psychanalyste corporel,
Président de l’IFPC
UN CERTAIN REGARD
Cet humain vivant en bonne amitié avec ses imperfections ne peut s’établir que dans une dynamique de travail intérieur et de connaissance de soi, une quête de sens et de foi.
L’article ci-dessous de Bertrand Gonin – qui sera complété à la prochaine parution de La Lettre – contribue justement à nourrir notre réflexion, que ce soit en tant qu’humain, psychanalyste ou chercheur spirituel, sur la relation entre recherche intérieure, réconciliation avec soi-même et expérience de foi.
« Foi et Psychanalyse, complémentarité ou antagonisme ? »
Le faux miroir, René Magritte
Lorsque je débute ma psychanalyse corporelle, j’entrevois l’opportunité de comprendre mes dysfonctionnements du quotidien. Quelle surprise, quand cette recherche me met également fasse à mes convictions religieuses.
Force est de constater que ma foi s’est ancrée sur du concret. Je comprends enfin, avec mon cœur, la parole de Jésus : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Immanquablement, depuis cette expérience personnelle, des questions se sont imposées : et pour les autres analysants, qu’en est-il ? Quel rôle a la psychanalyse corporelle sur la foi ? Quel est son lien au divin ? Comment se positionne l’Église, dont je fais partie, sur la psychanalyse ? Quelles sont les positions des grands courants de psychanalyse verbale sur la foi ?
La réponse à ces questions fera l’objet de deux articles [1]. La première contribution, développée ci-après, nous présentera la position des fondateurs des grands courants psychanalytiques, et de quelques contemporains.
Sigmund Freud, né de parents juifs peu pratiquants, est athée. Il fait partie des nombreux Juifs non religieux mais attachés à leur culture, cosmopolites et très bien intégrés. Son attitude envers l’église catholique oscillera entre de virulentes attaques et de prudents retraits [2].
Matérialiste positiviste, Freud défendait que la vérité ne peut être que d’ordre scientifique, la psychanalyse est et doit être une physique de l’esprit, une science naturelle, donc de type explicatif.
Ses analyses sur la religion s’étendent sur presque toute son œuvre. Ses interrogations portaient sur le sens caché de la foi religieuse. Précise, à la fois diverse et unifiée, sa réflexion sur la religion est rationaliste, mais c’est surtout celle d’un psychanalyste, qui est d’abord intéressé par les fonctionnements psychiques mis en œuvre. Parti d’une quête de l’origine et d’une méthode comparative qui l’amène à la construction d’un mythe originaire, il en vient à une réflexion sur l’expérience religieuse comme logique du désir, donc comme illusion dont il montre à la fois la force et les impasses [3].
La conclusion de Freud est que l’humanité doit abandonner le stade infantile de la protection divine par la pensée critique. Il pourra alors s’aventurer courageusement à la conquête d’une personnalité adulte capable d’assumer son destin. Une psychanalyse doit permettre de guérir de la religion, fonctionnant comme une névrose, en remplaçant l’affectif par l’intellect. Freud dit beaucoup compter sur l’éducation pour se charger de cette tâche, et particulièrement sur l’éducation par la science.
Carl Gustav Jung est né d’un père pasteur luthérien et d’une mère descendante de protestants français et comptant parmi ses ascendants des médecins éminents. Jung explique que cette double filiation prestigieuse éclaire son attrait à la fois pour la théologie et pour la médecine.
Le travail de Jung vise à dépasser l’opposition entre matérialisme et idéalisme. Toute sa vie, Jung a alors travaillé sur les rapports subtils qui lient la psychologie et le sentiment religieux. Loin de voir dans la religion un phénomène d’illusion ou une forme sublimée de la névrose obsessionnelle, il a toujours considéré que la « fonction religieuse » était constitutive de l’inconscient. Cherchant à cerner avec le plus de précision possible cette dimension incontournable de l’âme, il en a décrit les représentations symboliques encore vivantes dans de nombreuses traditions spirituelles. Mais il a toujours refusé de se prononcer sur le « divin en soi », ou sur la vérité de quelque religion que ce soit [4].
Le postulat fondamental de la psychologie analytique est que la psyché est dans son essence naturellement religieuse. D’un point de vue psychologique, l’image du dieu serait alors un phénomène réel, mais en premier lieu subjectif [5].
Jung évoque également l’importance de la religiosité du patient dans le cadre de la cure, avançant même que le système de la confession est une psychanalyse avant l’heure.
Jung soulève le problème de la foi et, comme Freud, il pense que nul ne peut être contraint à croire en quoi que ce soit, cependant il reconnaît la valeur des vérités symboliques dont les religions sont les gardiennes, et ces vérités sont nécessaires au bon fonctionnement de l’humanité [5].
Pour Jung, la psychologie n’est pas là pour juger les fondements et les vérités religieuses qui tiennent aux vérités métaphysiques, en revanche cela n’exclut pas les vérités psychologiques. L’objet de la psychologie est la psyché et ses contenus qui sont des réalités agissantes.
Cependant, il reproche aux théologiens leur volonté de démontrer la foi sans jamais en avoir fait l’expérience. «La preuve de la vérité ne se fait pas mais doit se vivre, et c’est là, l’enjeu de notre temps » confie-t-il [5].
L’expérience, vers laquelle tend la théorie de Jung, est autant psychologique que religieuse. Dans son esprit, approcher la spiritualité d’un point de vue psychologique peut permettre une appropriation des images et des doctrines religieuses à un niveau personnel, et l’expérience religieuse va de pair avec une réelle guérison psychique [6].
Jacques Lacan, né d’une famille catholique, grandit dans un milieu marqué par le cléricalisme et l’hostilité aux valeurs de la République et de la laïcité.
La religion n’est pas, chez Lacan, un thème comme un autre. Plutôt que de l’extérioriser, il la place dans la psychanalyse, considérant que les deux sont sous influence de la science. Selon l’hypothèse de Sidi Askofaré[7], tout l’enseignement de Lacan peut se lire comme un travail d’inscription (aliénation) d’abord de la psychanalyse dans la religion, puis d’émancipation (séparation) de la psychanalyse de la religion. Lacan conçoit la psychanalyse comme un savoir et donc déliée de la science.
Paradoxalement, il savait merveilleusement parler aux catholiques et les apprivoiser à la psychanalyse. Lacan pensait que la vraie religion, la romaine, à la fin des temps convaincrait tout le monde, en déversant du sens sur le réel de plus en plus insistant que nous devons à la science [7]. Selon lui, cette religion donne du sens à la vie humaine.
Dans le troisième et dernier temps de son enseignement, Lacan revient sur les trois registres RSI. Ils tiennent ensemble, selon lui, grâce à l’inscription d’un quatrième élément qui permettrait le nouage, et qu’il appelle le sinthome. Il formalise la religion comme sinthome fourni par l’Autre. La cure analytique, quant à elle, est exactement le contraire d’une religion, car elle vise le nouage par le sinthome obtenu au travers d’une pratique, comme par exemple l’écriture [8]. L’athéisme véritable, débarrassé d’une croyance au tout-puissant devenue obsolète, sera possiblement atteint en fin de cure [9].
Ces trois parcours ouvrent la voie à d’autres chercheurs, soucieux d’un certain rapprochement entre la pensée psychanalytique et la pensée catholique. La première psychanalyste à écrire à la frontière de ces deux domaines fut Françoise Dolto. Elle traduit l’idée princeps de Lacan : un sujet est constitué par le désir de l’autre ; par : l’homme est constitué par le désir de l’Autre. Si l’altérité fonde l’humain, une même structure pourrait ainsi rendre compte de la problématique du désir et de celle de la foi [2].
Aujourd’hui, une demande de sens est adressée au psychanalyste ou au religieux. Philippe Julien s’est questionné sur le rapport entre psychanalyse et religion. Dans son ouvrage, La psychanalyse et le religieux : Freud, Jung, Lacan (2008), il déduit que la religion n’existe pas. Mais il existe des religions, chacune particulière, et du religieux, qui s’incarnent dans le psychisme humain.
Jacques Arènes, psychanalyste et psychothérapeute, appartient à la sphère chrétienne. Il aborde la question de la sortie du religieux à travers le travail psychique imposé au croyant dans une culture qui remet en cause les racines de sa foi. Dans le même temps, il explique en quoi cette nouvelle donne religieuse constitue une opportunité pour une foi plus authentique [10].
Les découvertes psychanalytiques ont profondément bouleversé notre façon de penser l’homme, mais aussi de penser le religieux, la foi, Dieu. Depuis 40 ans, la psychanalyse, marquée par les différents courants, poursuit sa recherche et développe des théories contemporaines.
Si dans les premières décennies, les relations entre la psychanalyse et la religion catholique ont été conflictuelles. C’est avant tout la religion et ses dogmes qui étaient remis en cause. Pourtant, au fil du temps, il est apparu une complémentarité entre elles comme servant la même cause. En effet, quoi de plus important que les relations entre les hommes et le besoin de sens ? L’expérience analytique ouvre à une conquête de son intériorité. En permettant à chacun de comprendre son passé, un mieux vivre au présent est possible. L’être qui est plus vivant, plus attentif à soi, diffuse alors sa bonne vie. Il imprègne son entourage, sa famille, ses collègues de travail, ses amis. Tous en profitent. L’expérience de foi, si elle passe par d’autres chemins, produit les mêmes effets.
Nous verrons dans le prochain volet le positionnement de l’Église catholique sur la psychanalyse et nous aborderons la position de la psychanalyse corporelle et de son fondateur. Nous observerons enfin, sur un panel d’analysants, les fruits d’une cure aboutie. Nous pourrons notamment découvrir comment la psychanalyse corporelle apporte sa pierre à l’édifice de cette réconciliation avec soi-même, avec le divin et une foi personnelle.
Bertrand Gonin,
Psychanalyste corporel.
Bibliographie
[1] B. Gonin, « Il était une Foi en Psychanalyse Corporelle Ou Les traces du Divin dans la Psychanalyse Corporelle », Mémoire de fin de formation IFPC, 2015
[2] N. Jeammet, « Sujet de désir, sujet de foi. Après Freud, quelle religion ? », Raisons politiques 4/ 2001 (no 4), p. 71-82.<http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2001-4-page-71.htm>
[3] D. Bourdin, Psychanalyse et religion : la pensée de Freud. <http.//www.sciences
humaines.com/psychanalyse-et-religion-la-pensee-de-freud_fr_5305.html>
[4] M. Cazenave, C.G. Jung : le divin dans l’homme, Lettres sur les religions choisies et présentées par M. Cazenave. <http://www.cgjung.net/publications/cazenave/>
[5]C. G. Jung, « Métamorphoses de l’âme et ses symboles », Georg Editeur SA, Le livre de poche, 1993
[7] Sidi Askofaré : « Du Nom-du-Père au sinthome : Lacan et la religion »
<http://w3.erc.univ-tlse2.fr/pdf/lacan_et_la_religion.pdf>
[9] J. Adam, Ouverture : L’athéisme du Pas-tout.
<http://www.forumlacan.com/Adam%20Ouverture.rtf>
[10]G. Delrue, journaliste à RFI, Religion et psychanalyse, extraits émission du 20 mai 2012.<http://www.rfi.fr/emission/20120520-1-religion-psychanalyse/>
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cet article ne m’a pas laissé indifférent. Mais je conseillerai volontiers de ne pas amalgamer religion catholique et foi chrétienne ; de mon expérience prénatale, entre autres, je retiens cette leçon qui traverse la tradition patristique incontournable : l’Homme entier est à considérer comme un tout.
Je souhaiterais être informé de la parution des articles annoncés. Merci