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Sur un chemin, je me suis perdu…

20 04 2024

 En descendant le chemin de la colline qui nous mène au camps, ma main audacieuse, tente de frôler la peau de Suzanne, juste cette parcelle non  couverte entre son jeans et sa grande chemise blanche. Mon corps bouillonne, je me sens aussi puissant que les arbres aux alentours du sentier, j’exulte de joie. Au bras de Suzanne, ma vie prend tout son sens, mon rêve est devenu une réalité. Nous serons bientôt mariés, nous vivrons dans les Alpes, je gagnerai ma vie en étant professeur de ski et nous pourrons fonder une famille ! Enfin, j’ai une vie à moi, loin de celle que j’ai laissé  dans la grande ville. Balayé le jeune homme timoré, l’aîné de deux frères et deux sœurs. Plus besoin de montrer le bon exemple, d’être raisonnable ! Je suis libre, le monde m’appartient !

Hier soir, nous avons échangés notre premier baiser au bord du feu de camp alors que Christophe chantait Maxime Le Forestier à la guitare. Après plusieurs tentatives, j’ai touché ses cheveux châtains, de la soie entre les mains, et c’est elle qui a posé ses lèvres sur les miennes avec aplomb. Nos langues se sont emmêlées et dans ce baiser, ma vie a basculé, j’ai quitté un monde pour entrer dans ma vie, je suis devenu un homme à part entière.

En bas du sentier, avant de rejoindre le groupe, je tente une dernière caresse. C’est son regard froid qui m’attend. Déboussolé, je cherche à l’embrasser et Suzanne me rejette avec autant d’aplomb qu’elle m’avait accueilli la veille. De sa bouche sort une parole, je l’entends au ralenti comme dans les cauchemars « C’est fini entre nous, ça n’a jamais existé ! »

Je reste debout et la laisse filer. Je marche mais ce n’est plus moi qui marche, je suis un pantin. A chaque pas, une part de rêve s’écroule, une manière d’être aussi. Que vais-je devenir ? En tout cas, je ne veux plus jamais souffrir comme ça. J’ai le sentiment que je vais perdre la raison. Je vois Suzanne au loin avec les autres, qui rigole alors que mon cœur est brisé. Je n’ai été qu’un objet pour elle, un faire valoir d’un soir pour rigoler et pour se vanter. Plus jamais je ne pourrais faire confiance en une femme, ni dans mes élans. Je m’empêcherai toute spontanéité, je me briderai pour ressembler à un garçon bon chic bon genre.  Je camouflerai dans le plus profond de mon être mon audace joyeuse pour devenir raisonnable à souhait, quitte à étouffer dans l’ennui. Plus jamais, je laisserai une femme prendre le dessus, je m’arrangerai avec un amour tiède sans passion loin du danger d’un amour qui pourrait m’embraser et me faire perdre la tête.

Plusieurs dizaines d’années plus tard, alors que je découvre ces instants, je rencontre la raison qui a amené Suzanne à agir ainsi : elle avait eu des déboires l’année d’avant avec un jeune homme et elle avait même fugué. Et si elle voulait continuer à venir dans ce camp de vacances comme chaque année, ce qu’elle désirait, elle ne pouvait plus avoir d’histoires avec des garçons, c’était la condition pour qu’elle puisse revenir. En bas de ce chemin, elle a paniqué d’être vue à mes bras et elle s’est arrachée à moi. 

Toute ma vie amoureuse a été influencée par cet événement, une quête inlassable de rupture en rupture, de « j’étouffe et je me casse »,  sans jamais comprendre le sens de mon comportement, défini comme « compliqué » par mes amis. J’y vois enfin le sens ce jour où je me retrouve jeune homme au bras de Suzanne. Quel moment incontournable de ma vie, tellement touché et prêt à reconquérir l’homme que j’avais perdu sur le chemin.

Propos recueillis par Séverine Matteuzzi.

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