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La lettre 23 – Mars 2020

01 03 2020

Au sommaire :

Editorial : vers une culture du pardon
Un certain Regard : revécu de naissance en psychanalyse corporelle; témoignage.

 

EDITORIAL

Vers une culture du pardon ?…

Lutte de Jacob et de l’ange, Chagall

Que se passe-t’il ? Depuis plusieurs semaines, à travers l’affaire Preynat, le scandal e Matzneff, le témoignage de Sarah Abitbol, la condamnation de l’ex-producteur Weinstein, un vent nouveau semble souffler sur ces situations où prévalait la culture de l’abus.

Les victimes de toutes ces affaires ont plusieurs traits en commun : certes, toutes le sont d’abus sexuels, mais plus encore d’emprise. Donnons-en pour preuve les points suivants :  le silence sur lequel peut compter l’agresseur abuseur, l’instrumentalisation de l’abusé(e) condamné(e) à devenir une victime consentante, enfin le déni de l’entourage.

Par conséquent, réjouissons-nous de l’avancée prometteuse et significative de ces éléments ! Les faits sont établis, dénoncés, entendus, crus, les victimes réhabilitées, les abuseurs condamnés.
La libération de ces paroles trop longtemps étouffées constitue-t’elle une première étape du long processus du pardon ? Augurons que oui.
Car tous les milieux sont désormais touchés, – sportif, ecclésiastique, artistique, éducatif- le travail de miséricorde paraît incontournable !

Cependant, en tant que psychanalystes corporels, nous savons que seule l’expérience de ni bourreau ni victime mène à un vrai pardon ! Puisse cet outil de miséricorde si inouÏ et si complet éclairer cha cune de ces affaires et apporter une paix profonde à ceux qui oseront tenter l’aventure d’une psychanalyse corporelle.

Ce témoignage de revécu de naissance, annoncé dans la Lettre précédente, illustre avec force la qualité de réconciliation obtenue grâce à cette technique.

Jean-Luc Kopp
Psychanalyste et psychanalyste corporel,
Président de l’IFPC

 


UN CERTAIN REGARD

Revécu de naissance en psychanalyse corporelle. Témoignage.

La Mère et l’enfant au pied de l’arbre de Vie, Chagall

 

(A l’issue de chaque session, les psychanalysés écrivent le bilan de tout ce qu’ils ont revécu lors de la séance physique afin de mieux conscientiser leurs découvertes et en garder trace.)

Le témoignage que nous vous offrons est construit à partir de plusieurs bilans, c’est une fiction qui repose sur des faits réels.
Cette naissance est  écrite du point de vue du bébé sans les commentaires de l’adulte en psychanalyse.
Pour l’enfant à naitre, aucune notion de moralité n’est encore possible.

« Je suis à la sortie d’une immense boule de lumière qui ressemble à la lune, c’est le moment de quitter mes amis de lumière. J’ai pour mission d’amener cette lumière sur terre, c’est de la chair d’Amour.
Mes parents font l’amour. Papa est l’amant de ma maman, il est fou de désir pour elle, il aimerait la posséder toute et ne s’inquiète aucunement qu’elle puisse être fécondée par lui. Maman s’abandonne, toute heureuse de sentir enfin son corps vivre et de découvrir le plaisir. Pour la première fois, elle associe l’amour physique et les sentiments. Elle se sent grande, belle, unie au monde. De temps en temps, elle met de côté l’idée qu’elle pourrait tombée enceinte d’un homme autre que son mari.

Dans le ventre, je vis au rythme du monde, c’est comme un chant, il n’y a pas encore de séparation avec Lui, avec l’Amour. Je baigne dans la lumière.
Des électrons tournent autour de noyaux, très vite. Mes petites cellules s’organisent pour former un corps parfait. Tout est à Son image dans cette fabrication, tout est en lien avec Lui.  « C’est beau tout cet amour en action » je contemple cette création dans la joie et l’émerveillement.

Petit à petit les parois du ventre se resserrent, je prends la position de départ, la tête en bas. Je suis tellement pleine de lumière, que je vais le faire exploser ce ventre, si je reste ici, il ne peut plus m’accueillir. Et pourtant, je ne veux pas y aller. Il n’y a aucun sens à ce que je sorte de ce ventre. Le monde de la terre est hostile et ne peut recevoir ce plein d’Amour. Je ne suis pas compatible. Je n’irai pas. Je veux arracher le cordon et revenir à ma lumière, je résiste à la pression.

Pour finir, l’accouchement est provoqué. Il y a un goût infect de médicament. Une aiguille frôle ma tempe droite, celle qui rompt la poche des eaux. Le ventre se colle encore plus à moi, il fait froid et le contact avec la peau de maman me dégoûte. Maman n’en peut plus, elle veut m’évacuer, me jeter loin d’elle.
Les premières contractions sont violentes, je suis engagée de force. J’ai mal au corps. Je suis perdue, j’ai vécu tellement de grâce avec le corps dans le ventre, « pourquoi faut-il souffrir maintenant ? »
Je suis toute tordue et je vais devoir lâcher une de mes mains qui se cramponne au cordon,  me séparer d’une partie de ma lumière. Je suis obligée de rompre avec ce qu’il y a de plus précieux pour moi, ça me déchire. Ma lumière s’éloigne, « elle me lâche ! » je suis laissée pour compte, je deviens un peu plus humaine.
C’est le souvenir d’où je viens qui me donne la force d’avancer. Je suis descendue sur terre comme une bombe, avec la force de Titan, je n’avais peur de rien. Je garde dans la main droite ce qui me reste de lumière. Plus rien ne peut m’arrêter pour amener cette lumière sur terre.

Puis, je découvre le monde de ma maman, j’éprouve un élan d’amour immense pour elle, je perçois les pensées sombrent qui l’envahissent. Je viens pour la réconforter, la laver de ce jugement qu’elle porte sur elle, « d’une salope qui a trompé son mari ! »
J’avance millimètre par millimètre avec détermination.

Maman souffre, elle voudrait m’expulser loin d’elle. Je me concentre  pour profiter des contractions pour avancer, ça m’écrase ça me fait mal, c’est épuisant.
Elle a quitté son amant, elle n’a pas eu le courage de le suivre. Maman ne sait pas de quel papa je suis, et ça tourne dans sa tête, elle ne voudrait pas perdre aussi son mari. Elle a si peur que je ressemble à papa, que j’aie les yeux bleus comme lui. Elle ne veut plus que je naisse, elle a trop peur, elle voudrait tuer cette faute qu’elle a commise, elle a honte, elle ne veut pas que j’apparaisse, que je sorte vivante de son ventre. Je suis en lutte avec elle, le cordon tire mon pied droit en arrière, s’enroule autour de mon corps au point de me ligoter et serre mon cou. Quand ça tire en arrière, j’ai le sentiment que ma nuque va se briser. Mon corps est tout tordu.

Je sens les parois du bassin sur le sommet de ma tête. Je ne peux plus avancer, je suis coincée. Si je ne traverse pas le bassin, je vais mourir.
À chaque contraction, je respire moins. Si personne ne vient m’aider, je vais mourir. J’appelle à l’aide et personne ne m’entend.
Je manque d’air au point d’étouffer et c’est grâce à un spasme dû à l’étouffement, le corps raidi, que ma tête apparaît au-dehors. La sage-femme demande la ventouse. Le gynéco ne sait pas bien l’utiliser et va chercher un gynéco plus jeune. L’attente est longue.
Je sens la ventouse au sommet de mon crâne, je suis comme un élastique : la ventouse tire d’un côté et maman de l’autre. C’est maman qui gagne !
À la troisième tentative, je sors enfin.

Je me sens immense, je respire de l’amour, je ne souffre plus.

Puis je dois accepter de respirer « leur air », il entre dans mes poumons. C’est un filet d’air, ça ne remplit pas comme l’air du monde de lumière.  Celui-ci ne contient aucun amour, il est vicié.
La sage-femme est excédée, cet accouchement l’a épuisée. Elle commence par s’occuper de moi, me regarde et me trouve laide à cause de la grosse bosse que j’ai sur la tête. Elle cherche à culpabiliser maman d’avoir trop traîner. Elle ne comprend rien et n’a aucun respect pour mon corps qu’elle traite sans égard et avec brutalité. Il n’y a qu’elle qui compte,  elle ne voit rien de moi, je ne reçois aucun amour d’elle. Maman nous regarde l’air hagard, les jambes écartées.
La sage-femme m’essuie avec un linge blanc grossièrement, ce qu’il y a sur mon corps, ce sang, la dégoute. Puis elle me pose sans délicatesse sur le ventre de maman. Elle n’en peut plus de voir tous les bébés naître alors qu’elle ne parvient pas à en avoir. Son ventre souffre le martyre.  Elle est désespérée de toutes ces mamans et leur bébés qui la narguent alors qu’elle qui n’a le droit à rien.
Pas d’amour à recevoir de ce côté.
Je sens le ventre doux, souple, chaud sous moi. Ca me réconforte quoique j’aie peur. Ma maman embrasse ma main, je voudrais que ce baiser dure toujours. Puis je perçois son inquiétude, elle regarde mon visage, j’ai les yeux fermés, elle voudrait que je les ouvre « de quelle couleur sont-ils ? » Elle ne s’intéresse qu’à savoir à qui je ressemble ! Ma maman aussi ne s’intéresse qu’à elle !

Le mari de maman, celui que j’appellerai papa me regarde avec une infinie tristesse, il sait que sa femme l’a trompé, il n’en a pas parlé. Il se questionne aussi « est-elle ma fille ? », il se rend compte qu’il en doutera toujours et qu’il n’est pas sûr qu’il pourra m’aimer.

Où que je me tourne, personne ne s’intéresse à moi, je suis de la lumière, mon amour est immense pour leur maladresse mais personne n’en veut, c’est insupportable, je ne veux pas leur ressembler et devenir la bâtarde. Il n’y a pas d’autre version possible, je dois rentrer dans le moule. Maman m’en veut d’avoir détruit son amour. Elle-même est une bâtarde rejetée par tous, ce mariage lui permettait enfin d’être intégrée, de faire partie d’une famille, et je viens de tout foutre en l’air. Elle voudrait me faire disparaître.
Je ne vois plus d’amour nulle part. Ma présence est douloureuse pour tous ceux qui m’entourent alors, pour ne pas les déranger, je me fais toute petite, je deviendrai aussi minuscule et insignifiante qu’un grain de poussière.

Au bout du couloir, il y a une pièce toute noire avec plein de bébés qui dorment. La sage-femme me laisse là, seule avec les bébés. J’entends leur petite respiration. Je les sens, ils sont tous comme morts, mutilés, ils ne restent plus que la moitié de leur être. Je résiste encore à m’endormir et je vois une lampe ronde comme la lune au-dessus d’une porte. Même la lune est fausse ici. »

Après cette confidence sans réserve, le visage d’Amandine soudain s’éclaire, elle sourit doucement, lumineuse. Dans un souffle, elle murmure : « je comprends tout…
Je comprends mon amour pour le corps et ma conviction, jusqu’ici sans raison, qu’il est sacré… je comprends le choix de mon métier : infirmière pour prendre soin des corps, et en même temps cette douleur quotidienne auprès des patients d’être contrainte à des actes surtout techniques. Le sacré est tellement absent de l’hôpital.
Je comprends la femme effacée que je suis… c’est tellement normal de ne plus vouloir apparaitre, de ne pas vouloir déranger quand on a cru en arrivant sur terre que le seul fait d’exister allait blesser papa et maman.
Je comprends ma petite maman tellement seule avec sa soif de vivre et d’aimer  et qui a si peur de se faire rejeter de cette famille.
Et les hommes dans ma vie… tous à l’image de mon géniteur, ils doivent m’abandonner, c’est mon histoire inscrite dans ma chair et que je répète sans même m’en rendre compte.

Amandine se tait.
C’est fini, elle a tout dit.
Elle pose sur chacun de nous son regard profondément bienveillant, elle est en paix et nous offre la Paix.

Témoignage retravaillé à partir des bilans originaux
par Sylvie Régnault et Séverine Matteuzzi
psychanalystes corporelles

 

 

 

 

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