Interview de Jean-Luc Kopp président de l’institut français de psychanalyse corporelle.
Bernard Montaud
« Laisse parler ton corps… les fondements de la psychanalyse corporelle »
Pourquoi ce livre consacré à la psychanalyse alors que la discipline est contestée, concurrencée par des approches présentées comme plus efficaces ?
Vous avez raison, la psychanalyse a moins le vent en poupe en ce début de XXIème siècle. A vrai dire, la discipline n’a jamais été adaptée à son époque, pas plus à l’époque de son fondateur, Freud, qu’à notre siècle. A quoi cela tient-il ? A la confusion suivante : la psychanalyse ne vise pas à adapter la personne en souffrance aux standards du temps. En ce sens, la psychanalyse et plus encore la psychanalyse corporelle ne seront jamais une question de mode.
Entamer une psychanalyse serait ringard ?
Justement non. Avez-vous remarqué combien nous sommes devenus des analphabètes de notre intériorité ? Il semblerait qu’à coup d’appareils et d’images, seule compte l’exploration de la réalité extérieure. La conséquence est préoccupante : nous sommes amputés de notre intériorité, nous sommes inconscients de ce qui se trame, se manifeste dans notre subconscient. La psychanalyse corporelle joue précisément un rôle déterminant à cet endroit : pouvoir comprendre et parler de ce qui se joue au plus intime de notre être permet de convenir que notre intériorité est blessée. S’en suit une possibilité de se tourner vers ces blessures, d’y apporter un tant soit peu de compassion, de miséricorde. Il deviendrait possible de ne plus se contenter simplement de subir son histoire, mais d’apprendre à s’en servir pour mieux vivre avec soi-même et avec autrui. Vous constatez donc que la responsabilité qui incombe à cette forme de psychanalyse n’est pas anodine.
Vous associez ces deux mots “psychanalyse” et “corporelle”, c’est inhabituel, non ?
Effectivement, pouvez-vous imaginer une psychanalyse où, dans un premier temps la parole se tait et c’est le corps qui s’exprime. Le verbal, quant à lui, intervient dans un second temps pour mettre en mots et en sens ces confidences de la chair. C’est la première
innovation de cette psychanalyse nouvelle où le corporel et le verbal trouvent un partenariat inédit.
Pourriez-vous préciser en quoi cette nouvelle psychanalyse corporelle n’en demeure pas moins une psychanalyse ?
Tout simplement parce qu’elle s’ingénie elle aussi à comprendre le passé. Un travail d’archéologie psychique va rythmer les séances,
et peu à peu lever les voiles qui travestissent la vérité de cette histoire passée. La personne qui arrive pour la première fois se présente avec des bribes de son passé et des vraies questions de sens, en revanche tout y est confus, entremêlé : il s’agira bien évidemment de poser peu à peu un nouveau regard sur ce passé qui ne passe pas. Ce que nous prenons pour la vérité de notre histoire passée
n’est en fait que travestissement de celle-ci. La trajectoire psychanalytique consistera à lever ces masques, en un mot à rétablir la
vérité. Nous pourrions comparer l’intériorité de la personne à un coffre-fort, dont la combinaison aurait été égarée : la démarche
psychanalytique consiste à mener l’enquête pour la retrouver, et pouvoir accéder au plus intime de l’intime de l’analysant.
J’entends, mais alors qu’apporte la dimension corporelle ?
Le corps ne ment pas. Du coup les ambiances, les lieux, les personnages, les situations exhumés vont gagner en précision, concision.
La mémoire corporelle qui est suscitée est bien plus performante et fiable que la mémoire cérébrale habituellement sollicitée en psychanalyse. Le fait de pouvoir s’appuyer sur cette mémoire corporelle nous permet de rejoindre un point d’intime conviction qui ne laisse
pas place aux interprétations. Si je vous demandais ce que vous avez vécu l’été 2000, vous seriez incapables de retrouver ce qui s’est passé, en revanche il suffirait que je vous passe le tube musical de l’été pour qu’aussitôt se réveillent des ambiances, des impressions, des souvenirs. La mémoire corporelle réveille ce que nous appelons des lapsus corporels, qui agissent comme ce tube musical de l’été.
Iriez-vous jusqu’à dire qu’il deviendrait possible de tout connaître de soi ?
Non, cela est impossible. Par contre, le travail de vérité entrepris permet d’avoir accès aux instants décisifs qui ont construit notre personnalité. Après 38 années de recherche et d’expérimentation sur les lapsus corporels et plus de 150 000 séances, nous avons mis en évidence la découverte et la compréhension des quatre traumatismes que nous traversons tous : le premier fondamental se joue à la naissance, les trois autres secondaires lors de la petite enfance, de l’enfance et lors de l’adolescence.
Pourriez-vous nous en dire plus à propos de ces traumatismes ?
Les quatre traumatismes ont programmé chacun de nous dans une personnalité unique, c’est à- dire dans une façon toute personnelle de se comporter dans la vie, aussi bien dans ses souffrances que dans ses bonheurs. Ils constituent un système d’initiation qui permet d’être
admis au sein de la communauté humaine. Chacun de ces quatre moments clés semble dire à l’enfant qui les traverse : « Pour être un humain, voilà à quoi tu devras ressembler ! »
Mais encore ?
A l’occasion d’un traumatisme, l’enfant rencontre deux forces contraires et d’égale intensité, comme par exemple dans le traumatisme de l’enfance, où il rencontre autant de plaisir que de honte. L’intériorité, à ce point violemment déchirée entre deux réalités contradictoires qui ne peuvent coexister, va devoir faire un choix. Pour sauver sa peau, sa raison, l’enfant va devoir s’amputer d’une version du monde et renoncer à l’autre. Cela revient à ce qu’il s’ampute lui-même de la moitié du sentiment des choses. Une innocence infantile est invitée au sacrifice d’elle-même pour échapper à la folie. Et ce processus se répète lors de chacun des traumatismes.
Je comprends mieux ce qu’est le traumatisme, et donc on ne pourrait pas s’y soustraire ?
Effectivement. Un véritable principe de répétition nous condamne à retrouver les mêmes modalités de souffrance au quotidien que celles inscrites dans nos scènes traumatiques. Cette fidélité à notre personnalité présente l’avantage suivant : quelle que soit la situation rencontrée au présent, nous nous reconnaissons, retrouvons un goût de nous-mêmes infaillible.
Peut-on dépasser cette programmation qui semble inéluctable ?
Comprenez que nous sommes devant deux options : soit nous nous contentons d’être fidèles aux comportements imposés par les quatre traumatismes, soit nous décidons de rejoindre celui que nous pourrions être si nous nous affranchissions de ces conditionnements traumatiques. Ne plus être esclave de son histoire passée permet de la dépasser. De redevenir acteur de sa vie.
Vous parliez plus haut d’une “première innovation”, quelle est la suivante ?
L’enquête en vérité sur son histoire passée conduit le patient à l’expérience intime de “ni bourreau ni victime”. Grâce à elle, plus besoin de règlements de compte, nulle demande de pardon attendue de l’offenseur, mais à travers la sincérité du revécu corporel traumatique la
rencontre de deux misères à l’oeuvre, celle de la victime et celle du bourreau désigné.
La compréhension nouvelle de ce qui s’est déroulé donne ainsi accès à un vrai pardon.
Il est vrai que cette question de la réconciliation n’est jamais aisée…
Si l’on veut mieux vivre son présent, il est indispensable de pacifier son histoire passée. De cela découle une troisième innovation : une fois l’enquête consacrée au passé terminée, elle se prolonge par un accompagnement du présent. En effet, quel intérêt y aurait-il à connaître ce qui nous est arrivé si nous n’apprenons pas à le mettre au service de notre quotidien pour l’améliorer ?
Psychanalyse tournée vers le passé et psychanalyse du présent ?
Je parlerais plus d’un accompagnement du présent, il s’agit de prolonger la psychanalyse (tournée vers un passé désormais compris et pacifié) par un “coaching” (tourné du côté de la vie présente ordinaire) qui accompagne l’analysant vers le meilleur de lui-même.
Avons-nous fait le tour des innovations qu’apporte cette nouvelle psychanalyse ?
Il en reste une dernière : cette psychanalyse corporelle offre un accès au futur de la personne. Comme si l’esprit, libéré de l’emprise
de la mémoire du passé, pouvait alors accéder à la mémoire du futur. Cette trajectoire psychanalytique singulière conduit ainsi chacun à apercevoir sa mission sur terre pour donner sens à sa vie. Mesurons la cohérence de cette psychanalyse corporelle d’abord tournée vers le passé de la personne, pour ensuite l’accompagner à mieux vivre son présent, pour enfin trouver ce pour quoi cet être s’est un jour incarné.
Qu’ajouteriez-vous en guise de conclusion ?
Cette méthode innovante mérite toute l’attention, tant elle donne à la discipline un second souffle en lui ouvrant des perspectives nouvelles.
J’invite nos lecteurs désireux d’en savoir plus, soit à se référer au livre qui rentre dans le détail des fondements de la psychanalyse corporelle, soit à assister à l’une des conférences axées sur ce thème.
=>> Conférences animées par Bernard Montaud
Bruxelles le 3 mai Contact : Jean-Pierre Verbanck Téléphone : 04 89 31 38 56 bruxelles@artas.org
Lyon le 28 mai Contact : Bertrand Gonin Téléphone : 06 28 43 57 14 lyon@artas.org
Toulouse le 29 mai Contact : Chantal Fargette Téléphone : 06 20 79 12 87 toulouse@artas.org
Montpellier le 30 mai Contact : Cédric Guijarro Téléphone : 06 89 42 82 70 montpellier@artas.org
Romans le 31 mai Contact : Maryline Hubaud Téléphone : 06 77 52 34 57 romans@artas.org
Marseille le 1 juin Contact : Emmanuel Girard-Reydet Téléphone : 06 85 39 87 27 marseille@artas.org
Jean Luc Kopp est psychanalyste et psychanalyste corporel, et président de l’IFPC (Institut Français de Psychanalyse Corporelle), collaborateur de Bernard Montaud
=>> Plus d’infos :
http://bernardmontaud.org/ou-me-rencontrer/
https://psychanalysecorporelle.com/
http://artas.org/
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A lire cet article assez précis, il me semble pouvoir admettre que mon attrait pour tout ce qui est susceptible, dans le passé, de rendre compte du présent ( d’où cela vient-il?) m’a déjà placé dans cette optique mais gagnerait à être davantage « exploité »